25/11/2011

DECEPTION ISLAND





Don't break my love - Nicolas Jaar
The look - Metronomy (King Krule remix)
It's choade my dear - Connan Mockasin
From One to six Hundred kilometers - Dillon
The homeless wanderer - Emahoy Tsegue-Maryam Guébrou
All over again - BB-King
La Danza de los Mirlos - Los Mirlos
Mos'Scocious - Dr John
Childhood - Beach House
I am Born to preach the gospel - Washington Phillips
4'33' - John Cage
Salut les amoureux - Joe Dassin

Pict. ae

21/11/2011


- Vous croyez que cela va s'arranger? me demanda-t-elle.
- Je me méfie un peu des choses "qui s'arrangent". Cela fait parfois deux vaincus au lieu d'un seul.

Pict. FM, Versailles
Text. Romain Gary, Chien blanc

13/11/2011

MON FRERE EST UNE POULE


Sur ces entrefaites, il s'est fait tard et nous avons tous deux nos occupations. Mais ça a été formidable de revoir Annie, je ne me suis rendu compte que c'était une fille sensationnelle; et comme cela avait été agréable de la connaître, et je me suis souvenu de cette vielle blague.

Vous savez, l'histoire du gars qui va trouver un psychiatre et lui dit: "Docteur...euh...mon frère est fou. Il se prend pour une poule." Et alors, le docteur répond: " Eh bien, faites-le enfermer. " Et le frère répond:" Je le ferais bien, mais j'ai besoin des œufs."

Eh bien, je crois que c'est à peu près comme ça que j'ai tendance à voir les relations entre les gens. Vous savez, complètement irrationnelles, folles et absurdes et...mais... euh... je crois qu'on fait avec, parce que...euh...la plupart d'entre nous... ont besoin des œufs.


text. Woody Allen et Marshall Brickman, Annie Hall

pict. ae



01/11/2011

MARTIAL, ENTRE DEUX GARES, 13.05



"Putain ça tue", c’est un peu pour ça que nous sommes là, à regarder les rails et les quais de la gare de l’est, à travers notre fausse fenêtre de train, c’est la première réaction que Martial a eu lorsqu’il a découvert ce point de vue, à deux pas de chez lui; et c’est aussi ce qui motivera sa sélection. Un livre, un film, un album qui lorsqu’il les a découverts s’est dit, putain ça tue, des chocs, esthétiques, des trucs assez forts

Martial nous a donné rendez-vous dans un bistrot couleur SNCF installé dans la reconstitution d’une cabine de première classe - avec l’oppressante présence des képis de contrôleurs de toutes les époques - nous avons commencé par discutailler été indien, fashion week et maillot mouillé jusqu’à temps que nos bavettes saignantes arrivent.

MM : De ces chocs esthétiques j’en ai sélectionné trois, donc c’est une BD, pour le livre, parce qu’il n’y a pas de textes, je ne suis pas un grand littéraire je lis assez peu, c’est même un peu un problème mais aussi une provocation. Je la joue un peu la dessus, c’est un univers visuel, c’est ça qui me stimule. C’est Travel de Yokoyama Yuichi, je l’ai trouvé à Tokyo pendant un voyage d’étude, je suis rentré dans une librairie au hasard remplie de bouquins et posé sur la table il y avait ce bouquin. L’histoire - bon c’est sans importance - mais il y a des villes incroyables, des vrais tons. Souvent je trouve que les mangas sont gris, mais là je trouve qu’il y a vraiment des noirs, des blancs, des pointes de contrastes et l’auteur joue vachement de ces contrastes. C’est assez classique mais bien barré.

Le film auquel j’ai pensé c’est L’année dernière à Marienbad d’Alain Resnais, je suis tombé dessus je devais avoir dix-sept ou dix-huit ans, je regardais la télé tard le soir et il a dû passer vers une heure du mat' sur ciné cinéma ou je ne sais quoi. Entre deux boulards je tombe sur ça et je me dis «putain c’est hallucinant». Les mecs ils passent avec des axos dans les décors, c’est baroque, c’est très dessiné, hyper contrasté avec de vrais blancs, de vrais noirs dans l’image, justement pas un film gris. Il y a certaines esthétiques du gris dans lesquelles je ne me retrouve pas forcément, mais celle-là oui et c’est ce qui m’a vachement séduit. Un truc qui est beau, avec une histoire assez secondaire tellement les moments esthétiques et la photo sont forts.

IT : Et puis ces répétitions lancinantes…

MM : Oui la façon dont est fabriqué le film est un peu psychédélique
- Ah tu ne connais pas le film?
C’est un homme qui se retrouve avec une femme dans un lieu, dans une villégiature très luxueuse, baroque. L’homme rappelle toujours à cette femme qu’ils étaient ensemble une année, l’année précédente donc à Marienbad. Et en fait elle passe son temps à nier, on ne sait pas si c’est une fuite ou une amnésie ou si lui est un manipulateur. Tu vois il y a toujours comme ça ce flottement, donc c’est un peu toi qui est censé faire ton histoire. J’ai revu le trailer pour l’occasion et c’est assez classe, il dit « le seul film où vous êtes l’architecte de l’histoire». Enfin tu vois il se présente comme ça de manière « le film dont tu es le héros ».
Et il y a un côté un peu pareil avec le bouquin, comme il n’y a pas de textes. Finalement c’est comme dans l’année dernière à Marienbad il n’y a pas de textes, il est tellement répétitif qu’il devient une partie du décor. Ça laisse pas mal de marge, un peu comme une bande son.
Ça fait partie du film, tu choisis ta propre vision du truc. Tu ne sais pas forcément ce qui se passe là mais voilà tu te dis « je pense qu’il fait ça », tu te fais ta petite histoire au sein d’un univers graphique. Ça laisse de la place à l’imagination…

Après pour l’album, j’ai choisi Fresh Fruit for Rotting Vegetables des Dead Kennedys. C’est un groupe de punk des années 80 que j’écoute depuis la sixième. Je suis tombé dans la classe d’un mec qui adorait ça parce que son cousin écoutait ça. C’est devenu mon meilleur pote et ça fait 17 ans que j’écoute ce truc-là, sans me lasser. Et donc en fait, ce qui est génial c’est qu’il y a deux trucs, musicalement et graphiquement, qui me transportent pas mal. C’est du punk lourd, chaque chanson à une vraie petite histoire, chaque fois tu te fais le film, c’est très narratif la manière que le chanteur a de raconter son truc. Par exemple il y a une chanson c’est Holiday in Cambodgia, il dit « voilà il y a la police qui vient, qui frappe à ta porte, ils viennent chercher ta nièce qui est pas cool, et ensuite ils vont venir te faire prendre une douche façon nazi et tout ça tourne sur une musique entre hardcore et punk. Et deuxième truc, leurs pochettes sont des montages d’un mec qui s’appelle Winston Smith qui utilise la technique des fanzines de l’époque, des photocopies copié-collé. Donc tu as des montages photos ultra fâchés super beau. En fait quand tu déplie le livret tu as une grande suite de montage. Ça m’a toujours aussi vraiment impressionné graphiquement.
En fait tous ces exemples laissent la place à l’imagination tout en ayant des qualités hyper fortes, que tu peux saisir d’un coup en voyant le truc. Après c’est un univers qui est peut-être le mien, il y a probablement des gens qui sont moins sensibles aux années 1980 que d’autres...

IT : C’est marrant je lisais un texte que Léopold (Lambert voir ici ) a écrit sur toi la dernière fois où il disait un truc comme « Martial est aussi généreux qu' agressif, et dans son travail, et dans sa personnalité, ce qui à l'avantage de ne pas pouvoir laisser le lecteur dans l'indifférence de l'ennui » ça m’a fait marrer

MM : Oui l’agressivité peut être est séduisante, pas celle qui fait fuir les gens, mais plutôt celle qui fait qu’au premier abord tu ne comprends pas ce qu’il se passe, en tout cas ce qui me plait c’est qu’elle dérange.

IT : Ouais, il y a une sorte de répulsion-séduction qui se met en place et qui la rend dans ce cas la très douce

MM : Le film d’Alain Resnais est un peu comme ça, au début tu ne comprends pas, ça te gonfle, enfin tu vois que c’est un leitmotiv que c’est un truc systématique et après, ça devient prenant.

IT : C’est comme quand tu es dans le train. Moi ce qui me marque dans tous ces exemples c’est que c’est hyper cadré. Dans le train tu entends toujours les roues qui passent tous les 6 mètres sur les jonctions entre les rails et ça séquence ton voyage, ta perception. Et j’ai un peu l’impression que l’on est dans cette thématique, on va quelque part, on ne sait pas vraiment où mais il y a cette trame violente et en même temps on est dans des sièges confortable et on a aussi le temps d’imaginer les choses, de conceptualiser. Par exemple moi je ne lis jamais mieux que dans un train, d’ailleurs j’aimerai bien récupérer des vieux sièges de corail juste pour pouvoir lire.

MM : Ceci dit la place qui est donnée à l’imagination le moment où tu conceptualise, ce que j’aime bien c’est que ce sont un peu des chemins de fer à l’imagination. C’est un support possible pour imaginer, pour réinventer l’histoire. Par exemple dans la chanson t’as la bande son t’as le récit mais tu n’as pas l’image alors tu vas créer l’image, ce qui est la force de la musique. Il y a un peu le même effet dans le livre, là tu as l’image mais pas le son.

IT :- C’est une culture du manque.
- J’ai l’impression que la transversalité est là, des structures incomplètes dans lesquelles tu trouves ta liberté. Parce que je trouve qu’il y a un truc dont on parlait au début qui est ton projet au Laos, qui est comme tu l’as raconté une structure très simple mais qui permet de dégager un espace de liberté. Finalement tu as un truc assez lourd.Tu vois même une bd, c’est un truc très contraint dans ses cadres, la musique aussi c’est hyper contraint dans un temps, une manière de jouer de la basse, des riffs de guitare, qui répondent à une série des codes et un film c’est pareil, il y a des cadrages des travellings et toi dans tout ça ce que tu nous montres c’est quel espace de liberté tu arrives à dégager dans ces choses que tu choisis.Et c’est aussi la même chose avec le train. On va tous au même endroit mais il y a mille manières de vivre dans un train. Entre passer son temps à faire des allers retours, parler à des gens que tu connais pas, aller au bar… tu peux même rester sur les strapontins alors que tu as un siège réservé, ou fumer des clopes en cachette à la porte.

MM : Cette culture du manque et ce que l’on peut apporter dessus ce n’était pas forcément évident au début, ce sont des choses qui viennent aussi de la force esthétique, du fait que cela m’inspire, c’est le coté où je peux un peu m’immiscer.

IT : Moi je trouve ça assez dingue en fait comment à un moment un univers super puissant, super contrôlé, tel qu’il est, puisse fabriquer une autre histoire. Son esthétique dépasse sa propre narration. C’est là où ça devient hyper appropriable parce que du coup ça te propulse toi dans un univers qui dépasse le simple bouquin et c’est là que tu sens le manque, et tu te dis mais attend j’en voudrai deux trois quatre des bouquins comme ça et que le seul moyen de les avoir c’est de les faire ou de les imaginer.

MM : Oui ou sinon j’ai peut-être pas trop l’intérêt de reproduire, mais c’est l’idée de rajouter le petit truc qui fait que ça prend une autre dimension


On a continué cette discussion autour des jeunes groupies en slim noir de Dead kennedys, de l’essoufflement du graffiti, des vélos, des ponts toujours aussi fascinant qui traversent les mers de rail jusqu’au moment où nous avons dû retourner au travail.

Martial revient juste du Laos où il est allé réaliser un projet qu’il développe depuis quelques temps, il est actuellement en postgrade à L’ENSCI, il se constitue une année de liberté pour réfléchir sur son futur, il continue à peindre hors des codes avec son crew Sang D’encre



Références
Livre. Travel, YOKOYAMA Yuichi, 2008
Film. L'annèe dernière à Marienbad, Alain Resnais, 1961
Album. Fresh Fruit for Rotting Vegetables, Dead Kennedys, 1980

& un tout petit peu plus sur Martial ici



Photos/Montage. Flavien Menu

27/10/2011

EN SEPTEMBRE


Septembre ou le premier acte - les jeux du décor sont faciles et la nouveauté a son climat


01. The Bees, Winter Rose remix

02. Thirteen Thirty-five, Dillon
03. Berimbau, Mayra Andrade + Trio Mocoto
04. Megumi the milkyway above, Connan Mockasin
05. Instant hits, The slits
06. Hey Boy, Nicolas Jaar
07. The noose of Jah City, King Krule
08. Ribbons, Four Tet
09 Excuses, Bibio
10. Le plat pays, Jacques Brel
11. Love you gotta loose again, Clown and sunset


Pict. But, Epaux Bézu
Flavien Menu


24/10/2011

L'ETE A ALGER

Dans les cinémas de quartier à Alger, on vend quelque fois des pastilles de menthe qui portent, gravé en rouge, tout ce qui est nécessaire à la naissance de l’amour : 1 des questions : «quand m’épouserez-vous?» : «m’aimez-vous?» ; 2. des réponses «A la folie» ; «Au printemps». Aprés avoir préparé le terrain, on les passe à sa voisine qui répond de même ou se borne à faire la bête. A Belcourt, on a vu des mariages se conclure ainsi et des vies entirères s’engager sur un échange de bonbons à la menthe.
Le signe de la jeunesse, c’est peut-être une vocation magnifique pour le bonheurs faciles. Mais surtout, c’est une précipitation à vivre qui pousse au gaspillage. A Belcourt, comme à Bab-el-Oued, on se marie jeune. On travaille très tôt et on épuise en dix ans l’éxpérience d’une vie d’homme. Un ouvrier de trente ans a déja joué touts ses cartes. Il attend la fin entre sa femme et ses enfants. Ses bonheurs ont été brusques et sans merci. De même sa vie. Et l’on comprend alors qu’il soit né de ce pays où tout est donné pour être rétiré. Dans cette abondance et cette profusion, la vie prend la courbe des grandes passions, soudaines, exigeantes, généreuses. Elle n’est pas à construire, mais à brûler. Il ne s’agit pas alors de réfléchir et de devenir meilleur. La notion d’enfer, par exemple, n’est ici qu’une aimable plaisanterie. De pareilles imaginations ne sont permise qu’aux très vertueux. Et je crois bien que la vertu est un mot sans signification dans toute l’Algérie. Non que ces hommes manquent de principes. On a sa morale, et bien particulière. On ne «manque» pas à sa mère. On fait respecter sa femme dans les rues. On a des égards pour la femme enceinte. On ne tombe pas à deux sur un adversaire, parce que «ca fait vilain». Pour qui n’observe pas ces commandements élémentaires, «il n’est pas un homme», et l’affaire est réglée. Ceci me parait juste et fort.

text. Albert Camus, Noces
pict. FM, Camogli, Italie


14/10/2011

$$$

Je mesure aujourd’hui la folie et la méchanceté de ceux qui calomnient cette institution divine : l’argent! L’argent spiritualise tout ce qu’il touche en lui apportant une dimension à la fois rationnelle - mesurable - et universelle - puisqu’un bien monnayé devient virtuellement accessible à tous les hommes. La vénalité est une vertu cardinale. L’homme vénale sait faire taire ses instincts meurtriers et asociaux - sentiments de l’honneur, amour-propre, patriotisme, ambition politique, fanatisme religieux, racisme - pour ne laisser parler que sa propension à la coopération, son goût des échanges fructueux, son sens de la solidarité humaine. Il faut prendre à la lettre l’expression l’âge d’or, et je vois bien que l’humanité y parviendrait vite si elle n’était menée Que par des hommes vénaux. Malheureusement ce sont presque toujours des hommes désintéressés qui font l’histoire, et alors le feu détruit tout, le sang coule à flot.

Text. Vendredi ou les limbes du Pacifique, Michel Tournier
Pict. FM, Brooklyn Irish Festival, New York

06/10/2011

DARK ROOM


pict. ae , aquarium de la porte dorée

21/09/2011


D'accord... demain je pleurerai, mais aujourd'hui nous ferons comme je dis !

text. Hugo Pratt, Corto Maltese l'aigle du brésil
pict. ae

14/09/2011

L'AMOUR L'APRES MIDI


La glace fondait rapidement malgré la fraicheur de l’été , bientot les lentes dégoulinures aux couleurs pastels atteindraient nos doigts. Mais qu’importe, à présent,et depuis une heure ou deux peut etre ces contacts épais aux températures surprenantes ne nous répugnaient plus. Notre intimité avait fait siège dans la lenteur de cet après midi, et ne laissait au soir qu’un décor désuet.


Mahna de Carnaval -Antonio Carlos Jobim & Luiz Bonfa
Siboney - Connie Francis
Look - Sebastien Tellier
I got a woman - Nicolas Jaar
Into the night - Azari& III
***
De cara a la pased - Lhasa

Pict. La Punta Snack Bar, Portofino, Italie
Flavien Menu

23/08/2011

LUCAS, SES COMBATS CONTRE L'HYDRE

A présent qu'il devient vieux, il se rend compte qu'il n'est pas facile de la tuer.

Il est facile d'être une hydre mais pas de la tuer car s'il faut couper en effet ses nombreuses têtes (de sept à neuf selon les auteurs ou bestiaires consultables) pour la tuer, il convient cependant de lui en laisser au moins une car l'hydre c'est Lucas et ce qu'il aimerait c'est sortir de l'hydre mais demeurer en lui-même, passer de poly au mono-céphale et c'est là que j'attends, dit Lucas qui jalouse Hercule de n'avoir jamais eu de tels problèmes et d'avoir pu d'un seul coup de glaive faire de son hydre une jolie fontaine d'où giclaient sept ou neuf jets de sang. Une chose est de tuer l'hydre est une autre d'être cette hydre qui ne fut autrefois que le seul Lucas, lequel voudrait bien le redevenir. Par exemple tu lui donnes un coup sur la tête qui collection les disques et un autre sur celle qui pose invariablement la pipe à gauche du bureau et le verre avec les crayons-feutres à droite un peu plus en arrière. Considérons à présent les résultat obtenus:

Hum ! on a du moins gagné que ces deux têtes enlevés mettent en crise celles qui restent, lesquelles, fébrilement, pensent et pensent encore face à l'événement déplorable. Autrement dit : pour un moment au moins le besoin urgent de compléter la série des madrigaux de Gesualdo, prince de Venosa, cesse d'être obsédant ( il manque à Lucas deux disques de la série parce qu'ils sont épuisés, parce qu'on ne les rééditera pas et cela lui gâche le plaisir d'avoir les autres. Meure, tranchée net, la tête qui pense ainsi, qui désire et qui sape). Par ailleurs, c'est une nouveauté inquiétante de na pas trouver la pipe à sa place quand on allonge la main. Profitons de cette volonté de désordre pour trancher sur-le-champ cette autre tête, amie des pièces closes, du fauteuil à coté de la lampe pour la lecture, du whisky à six heures et demie avec deux glaçons et peu de soda, des revues et des livres empilés par ordre de priorité.

Mais il est très difficile de tuer l'hydre et de revenir a Lucas, il le sent bien au milieu de la sanglante bataille. Pour commencer il est en train de la décrire sur une feuille de papier qu'il a sortie du deuxième tiroir à droite de son bureau alors qu'il y a du papier en vue de tous côtés, mais non monsieur, le rituel est celui-là et ne parlons pas de la lampe italienne réglable quatre positions cent watts, placée telle une grue au-dessus d'un bâtiment en construction et fort délicatement orientée pour que le faisceau de lumière, etc., coup fulgurant sur cette tête du scribe accroupi. Une de moins, ouf. Lucas se rapproche de lui-même, la chose ne se présente pas mal du tout.

Il n'arrivera jamais à savoir combien de tête il lui reste encore à couper car le téléphone sonne et c'est Claudine qui propose d'aller en-vi-tesse au cinéma parce qu'on passe un Woody Allen, et Lucas à ce qu'il semble, n'a pas coupé les têtes dans l'ordre ontologique car sa première réaction est non; absolument pas ; Claudine gigote comme une crevette à l'autre bout du fil, Woody Allen Woody Allen, et Lucas, fillette ne me bouscule pas si tu veux obtenir quelque chose de moi, tu crois que je peux abandonner comme ça cet affrontement dégoulinant de plasma et de facteur rhésus uniquement parce que t'as une crise de Woody Woody, tâche de comprendre qu'il y a valeur et valeur. Quand , à l'autre bout du fil, on laisse tomber l'Annapurna en forme de récepteur sur le socle, Lucas comprend qu'il lui aurait fallu d'abord couper la tête qui ordonne, respecte et hiérarchise le temps, ainsi peut-être tout se serait-il desserré soudain et alors pipe Claudine crayons-feutres Gesualdo, en séquences différentes, et Woody Allen bien sûr. Mais c'est un peu tard, mais plus de Claudine, mais plus de mots, même pour continuer à raconter la bataille puisqu'il n'y a plus de bataille, quelle tête couper puisqu'il en restera toujours une plus autoritaire, il est l'heure de répondre au courrier en retard, dans dix minutes le whisky avec ses glaçons et son soda, tellement évident qu'elles ont déjà repoussé, les têtes, qu'il ne lui a servi à rien de les couper. Dans la glace de la salle de bain, Lucas voit l'hydre au complet avec ses bouches aux brillants sourires, toutes dents dehors. Sept têtes, une par décennie et, pis encore, ce soupçon qu'il peut lui en pousser deux autres, pour satisfaire certaines autorités en matière hydrique, à condition bien sûr que la santé soit bonne.


text. Julio Cortazar: Lucas, sus luchas con la hidra

pict. ae

11/08/2011

EN JUILLET


Ce qui fait la différence entre août et juin, entre populace et aventurier domestiqué


01. Green Lights - Aloe Blacc
02. La Rua Madueira - Nino Ferrer
03. The Girl From Ipanema - Stan Getz & Joao Gilberto
04. Chez les Yéyé - Serge Gainsbourg
05. Question de peau - Bernard Lavilliers & Tiken Jah Fakoly
06. Petit Pays - Cesaria Evora
07. Couleur Café - Serge Gainsbourg
08. Our house - Crossby, Still & Nash
09. I'll try anything once - The Strokes
10. Le vent nous portera - Noir Désir
11. La Madrague - Brigitte Bardot

Pict. Butte Montmartre, Paris
Flavien Menu

10/08/2011

IDIOTIE


Regardez le bien!
C'est un idiot, c'est un farceur, c'est un fumiste.
Regardez le bien!
Il est comme vous tous.

Pict. IT
Text. Tristan Tzara

09/08/2011

SON SEUL AMI, SON AMER ENNEMI



"Le port voudrait lui porter secours; le port est plein de pitié; dans le port il y a la sécurité, le confort, le foyer, le souper, des couvertures chaudes, des amis; tout ce qui est bon à notre faiblesse mortelle. Mais, dans la tempête, le port, la terre, représentent le plus grand danger pour ce vaisseau. Il lui faut fuir toute hospitalité. Un frôlement de rivage, même s'il ne faisait que raser la carène, l'ébranlerait de tout son long. Il doit déployer toutes ses voiles et donner tout ce qu'il peut pour s'éloigner de la terre et, ainsi, lutter contre les vents mêmes qui voudraient le pousser vers le refuge. Il lui faut retrouver les grandes mers ouvertes, toujours loin de la terre, car son seul salut est de piquer désespérément dans le danger, son seul ami, son amer ennemi."

text. Hermann Melville, Moby Dick
pict. ae

un texte chapardé avec précaution et supplication ici


07/08/2011

02/08/2011

LE CHIEN BLEU


Le reste de pâte au curry glissait lentement le long de l’assiette. l'absence à proximité d’un quelconque poussoir le condamnait, la gravité comme unique arme, à rester spectateur de cette douloureuse scène. Le tout chuta dans un bruit crispé de sac plastique lesté.

«quel gâchis... si seulement j'avais un chien»

Une idée facile. Plongeant à présent ses mains à tour de rôle dans l’eau saumâtre puis claire, tiède puis fraîche, la vaisselle avait cet inconvénient d’occuper totalement le corps et si peu l’esprit. Si bien que le chien persistait et avec lui la magnifique idée de pouvoir à tout jamais s’éviter l’intolérable culpabilité du gâchis.

Étonnamment le choix de la race fut la première question, bien avant la garde de la bête pendant les vacances, l'installation du couchage dans son vingt-cinq mètres carré, ou même l'éternel positionnement idéologique sur le fait de posséder un chien en ville. Comme si une race bien choisie eut été la clef pour dénouer toute ces contraintes futiles.

Le seul réel moyen qu’il possédait afin de déterminer l’exacte race adéquate était évidemment ce qui l’avait amené à l’idée même d’avoir un chien : son propre gâchis.

Il commença sommairement à calculer en demi-assiette puis en plats et finalement en kilos la somme de nourriture qu’il avait expédié par simple dégoût ou paresse dans ces insouciants sacs bleus. Pour finalement arriver à une première conclusion: qu’il lui faudrait avoir un chien relativement gros ou apprendre d’ici là à cuisiner avec un peu plus de justesse.

Arrivé maintenant au stade des couverts de sa vaisselle, il sentait à l’approche du fond de l’évier que ce choix été plus complexe qu’il n’y paraissait. En effet certains détails pointaient dans son raisonnement: Déjà son plus pur choix esthétique était complètement étouffé et de plus la nourriture délaissée était loin d'être le premier gâchis mesurable dans sa vie. Il se mit à chercher tout ce qui avait pu finir dans ce sac bleu pour des raisons insuffisantes: le manque de faim, la paresse, l’oubli, le confort ou même la maladresse.

Un temps se fit sentir à l’approche des derniers verres sales et une énorme sélection venait d'être faite dans sa propre base de donnée canine. Puisque en plus d'être un véritable glouton ce chien devrait posséder des qualités indéniables en matière de conseils économiques, de psychologie et surtout d'énorme facultés affectives.

Devant de tels critères, il commença à douter qu’un seul chien suffirait, et évoqua brièvement la possibilité d’adopter une meute avec pour chaque chien une qualité spécifique poussée.

Mais gardant les pieds sur terre, il se dirigea plus volontiers vers la perspective de croiser différentes races afin d’obtenir un chien de qualité supérieure qui réunirait toute ses demandes. Alors que l’idée d’une race supérieure lui fit un peu peur, il se porta plus facilement vers des chimères qui réunissaient à présent, chiens, animaux marins, électro-ménager, plantes, et jeunes filles. Et c’est dans ce cocktail surréaliste et au moment ou tous les ingrédients semblaient être mesurés qu’il aperçut avec stupéfaction le visage de sa mère.

Le dernier verre glissa de sa main tétanisée pour aller se briser bruyamment sur les carreaux de sa cuisine juste à coté du sac de plastique bleu.


text/pict. ae





23/07/2011

CLIC

Raymond Depardon, Les années Déclic, 1957-1977

14/06/2011

JULIETTE / DEUXIEME PARTIE


Évidemment chaque prénom avait sa sonorité et son timbre et en rien le prénom de Juliette ne ressemblait à celui d'Eugénie ou de Joséphine. Il y avait toute une gestuelle buccale, un paysage de connaissances ou même de saveurs qui composaient un assemblage complexe pour chacun d'entre eux. Néanmoins cette construction ne trouvait aucun signifiant figé et restait modulable. Une signification en permanence manipulée par ses rencontres ou même ses humeurs. C'est bien cela qui l'enthousiasmait, décupler ses valeurs là et, voir constamment son environnement en perpétuelle mutation. En effet, une lampe restera toujours une lampe et pour tout le monde, mais appelez la Marine et la voilà embarquée dans la grande aventure, on pouvait alors la désirer un certain temps et plus tard, la trouver totalement détestable. Ce même exercice était tout aussi vérifiable dans l'autre sens: un petit doigt de pied assommé au matin dans une bordure de lit et c'était un mauvais sourire pour sa collègue qui avait le malheur de porter le même prénom que ce quadrupède nocturne.
C'est ainsi en réunissant le monde des objets, des lumières et des sens à l'imprédictibilité et l'absurdité des rapports humains qu'il trouvait une juste lecture totale de son monde, et nager ainsi dans les fabuleuses mesures de chaque prénom qui l'entourait.


pict/text. ae


31/05/2011

EN MAI



Sunny - Bobby Hebb
Can't go to Cuba - Nikita Quasim
Vika Tziganova - зачем тебя я милы
Satisfaction - Cat power
Winter song - Nico
Sweet Road - Animal Collective
Le tourbillon de la vie - Jeanne Moreau
Take me as I am - Au Revoir Simone
St James Infirmary - Allen Toussaint
Balumukeno - Bonga
Looking for you - Nino Ferrer

Pic. 206 rue La Fayette, Paris
Flavien Menu

28/05/2011

Un amour de Swann





En réalité il n'y avait pas un fidèle qui ne fût plus malveillant que Swann ; mais ils avaient la précaution d'assaisonner leurs médisances de plaisanteries connues, d'une petite pointe d'émotion et de cordialité ; tandis que la moindre réserve que se permettait Swann, dépouillée des formules telles que : "Ce n'est pas du mal que nous disons" et auxquelles il dédaignait de s'abaisser, paraissait une perfidie. Il y avait des auteurs originaux dont la moindre hardiesse révolte parce qu'ils n'ont pas d'abord flatté les goûts du public et ne lui ont pas servi des lieux communs auxquels il est habitué ; c'est de la même manière que Swann indignait M. Verdurin. Pour Swann comme pour eux, c'était la nouveauté de son langage qui faisait croire à la noirceur de ses intentions.


Pict. FM, La maison du poisson, Paris
Text. Du côté de chez Swann, Marcel Proust.

19/05/2011

JULIETTE / PREMIERE PARTIE












Il n'était pas forcément maniaque, dangereux ou même obsédé, mais il nommait toute chose par des prénoms de jeunes filles.

Les meubles, les plantes, les livres, les attitudes ou les pensées étaient tous affublés d'un prénom féminin.

Cette habitude était venue très naturellement , sans même y prendre garde. Mais un soir, alors qu'il fit la connaissance d'une Juliette, il réalisa que c'était la huitième Juliette qu'il connaissait. Bien entendu il se refusa de lui affirmer que sa passoire, un goût de médicament, deux des chats de sa tante, un passage du cinquième élément, un plat égyptien, une bâtiment près du canal et un sourire a fossette portaient déjà ce doux prénom. Malgré la conviction avec laquelle il utilisait et manipulait ce langage, il ne le dévoilait que rarement et encore moins au jeune filles elles-même.


pict / text . ae

11/05/2011

DES VARIATIONS ATMOSPHERIQUES


Faire un événement, si petit soit-il, la chose la plus délicate du monde, le contraire de faire un drame, ou de faire une histoire. aimer ceux qui sont ainsi: quand ils entrent dans une pièce, ce ne sont pas des personnes, des caractères ou des sujets, c'est une variation atmosphérique, un changement de teinte, une molécule imperceptible, une population discrète, un brouillard ou une nuée de gouttes. tout a changé en vérité. Les grands événements, aussi, ne sont pas faits autrement : la bataille, la révolution, la vie, la mort... Les vraies Entités sont des événements, non pas des concepts.


texte. Gilles Deleuze - Claire Parnet, Dialogues

pict. ae


merci à m

17/04/2011

LA 27EME MINUTE

Voici comment Juliette a 15h37 voyait remuer les pages de cet objet, que dans le langage ou en linguistique, on nomme une revue; et voila comment, environ 150 images plus loin, une autre jeune femme, très semblable, sa soeur, pliait le même objet. Ou est donc la vérité? de face ou de profil, mais d’abord un objet qu’est ce que c’est?
Peut être qu’un objet est ce qui permet de relier, de passer d’un sujet à l’autre, donc de vivre en société, d'être ensemble. Mais alors puisque la relation sociale est toujours ambiguë, puisque ma pensée divise autant qu’elle unit, puisque ma parole rapproche par ce qu’elle exprime et isole par ce qu’elle tait, puisqu’un immense fossé sépare la certitude objective que j’ai de moi même et la vérité objective que je suis pour les autres, puisque je n'arrête pas de me trouver coupable alors que je me sens innocent, puisque chaque évènement transforme ma vie quotidienne, puisque j'échoue sans cesse à communiquer je veux dire a comprendre, à aimer, à me faire aimer et que chaque échec me fait éprouver ma solitude puisque...
Puisque je ne peux pas m’arracher à l’objectivité qui m’écrase ni a la subjectivité qui m’exile , puisqu’il ne m’est pas permis ni de m’élever jusqu'à l’Etre ni de tomber dans le néant, il faut que j’écoute, il faut que je regarde autour de moi plus que jamais,le monde, mon semblable, mon frère...
Le monde seul, où aujourd'hui les révolutions sont impossibles, où des guerres sanglantes me menacent, où le capitalisme n’est plus très sûr de ces droits, et la classe ouvrière en recul; où les progrès foudroyant de la science donnent au siècle futur une présence obsédante, où l’avenir est plus présent que le présent, où les lointaines galaxies sont à ma porte, mon semblable, mon frère..
Où commence, mais où commence quoi? Dieu créa les cieux et la terre bien sur, mais c’est un peu lâche et facile, on doit pouvoir dire mieux, dire que les limites du langage sont celles du monde, que les limites de mon langage sont celles de mon monde, et qu’en parlant je limite le monde, je le termine et que la mort un jour logique et mystérieux viendra abolir un jour cette limite et qu’il n’y aura ni question ni réponse, tout sera flou mais si par hasard les choses redeviennent nettes ce ne peut être qu’avec l'apparition de la conscience, ensuite, tout s’enchaine...

Pict. FM, la 27ème minute et certaines autres
Text. Jean Luc Godard, Deux ou trois choses que je sais d'elle

13/04/2011

LE SOLITAIRE


J'ai en horreur de suivre et de mener.

Obéir? Non! Ni non plus -- gouverner!

Qui n'est terrible pour lui-même n'inspire de terreur à personne:

Et qui inspire la terreur peut seul mener autrui!

J'ai déjà en horreur de mener moi-même!

J'aime, tels les animaux de la forêt et de la mer, Me perdre un long moment,

M'accroupir pour rêver dans un labyrinthe délicieux,

Me rappeler enfin moi-même de loin,

Me -- séduire moi-même pour revenir à moi.


text. Nietzsche, Le Gai savoir, Le solitaire

pict. ae

11/04/2011

LOOKING AT THE CEILING


01. Cortex - Go Round
02. Valet - Drum movie
03. Weather Report - River People
04. Ariel Pink's Haunted Graffiti - Reminiscences
05. Pink Floyd - Absolutely Curtains
06. Deerhoof - New Sneakers
07. Robert Wyatt - Alifib
08. White Rainbow - Middle
09. The Doors - Easy Ride
10. Al Duvall - Lantana


Pict : GB, rue Vicq d'Azir



02/04/2011

CA TU NE LE DIS QUE POUR ME DESARMER

- La femme:" Ne crie pas, l'enfant dort."

- Bruno: " Tu dis l'enfant - comme s'il ne devait plus avoir de nom pour moi ! Et toujours raisonnable, c'est ce que tu es ! Vous les femmes avec votre minable coté raisonnable! Avec votre brutale compréhension pour tout et chacun ! Et jamais vous ne vous ennuyer, bonne à rien que vous êtes. Vous êtes toujours assises quelque part, pleine d'enthousiasme, à laisser passer le temps. Sais-tu pourquoi vous ne deviendrez jamais rien? Parce que jamais vous ne vous soûlez toutes seules !

Vous vous baguenaudez dans vos appartements bien rangés, comme de prétentieuses photo de vous même. Vous faites les mystérieuses, vous couinez à force d'insignifiance, camarades patentées que vous êtes, vous étouffez les autres avec votre humanité bornée, des machines à mettre en tutelle pour tout ce qui est vivant. Reniflant le sol, vous rampez en tous sens, jusqu'à ce que la mort vous ouvre la bouche toute grande.

" Il cracha de coté: " Toi et ta nouvelle vie! Jamais encore je n'ai vu une femme qui ait durablement modifié sa vie. Rien que des bonds de côté- et puis après c'est la vieille rengaine qui recommence.

Tu sais quoi? Ce que tu fais maintenant, tu le feuilletteras plus tard en coupures de journal jaunies comme seul événement de ta vie! Et tu te rendras compte que tu n'as fait que courir derrière la mode: la mode d'hiver de Marianne!"

- La femme: " Tu as préparé tout ça d'avance, n'est-ce pas ? Tu ne veux pas du tout parler avec moi, pas du tout être avec moi ! "

- Bruno: " Je préférerais encore parler avec un fantôme!"

- La femme: "Tu as l'air terriblement triste, Bruno!"

- Bruno: " ça tu ne le dis que pour me désarmer."

Ils se turent longtemps.


text. Peter Handke, La femme gauchère
pict. ae, Brasilia

29/03/2011

NOTHING BUT DAILY POETRY


01. Explosions in the sky - What Do You Go Home To
02. Tunng - Bullets
03. James Blake - Measurements
04. Serge Gainsbourg - La Nostalgie Camarade
05. Au Revoir Simone - Shadows (Jens Lekman Remix)
06. Brightblack Morning Light - Everybody Daylight
07. Keren Ann - Strange Weather

Pict. Fenêtre sur DesingelStrasse, Anvers
Flavien Menu



26/03/2011

LISTE D'ANIMAUX

Les animaux se décomposent en :
appartenant à l'Empereur
embaumés
apprivoisés
cochons de lait
sirènes
fabuleux
chinchards
chiens en liberté
inclus dans la présente classification
qui s'agitent comme des fous
innombrables
dessinés avec un pinceau très fin en poils de chameau
qui viennent de casser la cruche
qui de loin semblent des mouches


Pict. FM, défilé de mode à l'hôtel de la Monnaie, Paris
Text. Jorge Luis Borges, Classification des animaux

22/03/2011

LE RETOUR DE L'ENFANT PRODIGUE





-Mon fils, pourquoi m’as tu quitté ?

-Vous ai-je vraiment quitté? Père! n’êtes vous pas partout? Jamais je n’ai cessé de vous aimer.

-N’ergotons pas. J’avais une maison qui t’enfermait.Elle était élevé pour toi. Pour que ton âme y puisse trouver un abri, un luxe digne d’elle, du confort, un emploi, des générations travaillèrent. Toi, l’héritier, le fils, pourquoi t’être évadé de la Maison?

-Parce que la Maison m’enfermait. La Maison, ce n’est pas vous Père.

-C’est moi qui l’ai construite, et pour toi.

-Ah! Vous n’avez pas dit cela, mais mon frère. Vous, vous avez construit toute la terre, et la Maison et ce qui n’est pas la Maison. La Maison, d’autres que vous l’ont construite; en votre nom, je sais, mais d’autres que vous.

-L’homme a besoin d’un toit sous lequel reposer sa tête. Orgueilleux! Penses-tu pouvoir dormir en plein vent?

-Y faut-il tant d’orgueil ? de plus pauvres que moi l’ont bien fait.

-Ce sont des pauvres. Pauvre, tu ne l’es pas. nul ne peut abdiquer sa richesse. Je t’avais fait riche entre tous.

-Mon Père, vous savez bien qu’en partant j’avais emporté tout ce que j’avais pu de mes richesses. Que m’importe les biens qu’on ne peut emporter avec soi?

-Toute cette fortune emportée, tu l’as dépensée follement.

-J’ai changé votre or en plaisirs, vos préceptes en fantaisie, ma chasteté en poésie, et mon austérité en désirs.

-Etait-ce pour cela que tes parents économes s’employèrent à distiller en toi tant de vertu?

-Pour que je brûle d’une flamme plus belle, peut-être, une nouvelle ferveur m’allumant.

-Songe à cette pure flamme que vit Moïse, sur le buisson sacré : elle brillait mais sans consumer.

-J’ai connu l’amour qui consume.

-L’amour que je veux t’enseigner rafraîchit. Au bout de peu de temps, que t’est-il resté, fils prodigue?

-Le souvenir de ces plaisirs.

-Et le dénuement qui le suit.

-Dans ce dénuement, je me suis senti près de vous, Père.

-Fallait-il la misère pour te pousser à revenir à moi?

-Je ne sais ; je ne sais. C’est dans l’aridité du désert que j’ai le mieux aimé ma soif.

-Ta misère te fit sentir le prix des richesses.

-Non, pas cela! Ne m’entendez vous pas, mon Père? mon coeur, vidé de tout, s’emplit d’amour. Au prix de tout mes biens, J’avais acheté la ferveur.

-Etais-tu donc heureux loin de moi?

-Je ne me sentais pas loin de vous.

-Alors qu’est-ce qui t’a fait revenir ? Parle.

-Je ne sais. Peut-être la paresse.

-La paresse, mon fils! Eh quoi! Ce ne fut pas l’amour ?

-Père je vous l’ai dit, je ne vous aimai jamais plus qu’au désert. Mais j’étais las, chaque matin, de poursuivre ma subsistance. Dans la Maison, du moins on mange bien.

-Oui, des serviteurs y pourvoient. Ainsi , ce qui t’a ramené, c’est la faim.

-Peut-être aussi la lâcheté, la maladie... A la longue cette hasardeuse nourriture m’affaiblit ; car je me nourrissais de fruits sauvages, de sauterelles et de miel. Je supportais de plus en plus mal l’inconfort qui d’abord attisait ma ferveur. La nuit, quand j’avais froid, je songeais que mon lit était bien bordé chez mon père; quand je jeûnais, je songeais que, chez mon père, l’abondance des mets servis outrepassait toujours ma faim. j’ai fléchi; pour lutter plus longtemps, je ne me sentais plus assez courageux, assez fort, et cependant...

-Donc le veau gras d’hier t’a paru bon?

Le fils prodigue se jette en sanglotant le visage contre terre:

-Mon père! mon père! Le goût sauvage des glands doux demeure malgré tout dans ma bouche. Rien n’en saurait couvrir le saveur.

- Pauvre enfant ! -


text. Le retour de l'enfant prodigue, André Gide

pict. ae, trespoux-rassiel Lot