17/04/2011

LA 27EME MINUTE

Voici comment Juliette a 15h37 voyait remuer les pages de cet objet, que dans le langage ou en linguistique, on nomme une revue; et voila comment, environ 150 images plus loin, une autre jeune femme, très semblable, sa soeur, pliait le même objet. Ou est donc la vérité? de face ou de profil, mais d’abord un objet qu’est ce que c’est?
Peut être qu’un objet est ce qui permet de relier, de passer d’un sujet à l’autre, donc de vivre en société, d'être ensemble. Mais alors puisque la relation sociale est toujours ambiguë, puisque ma pensée divise autant qu’elle unit, puisque ma parole rapproche par ce qu’elle exprime et isole par ce qu’elle tait, puisqu’un immense fossé sépare la certitude objective que j’ai de moi même et la vérité objective que je suis pour les autres, puisque je n'arrête pas de me trouver coupable alors que je me sens innocent, puisque chaque évènement transforme ma vie quotidienne, puisque j'échoue sans cesse à communiquer je veux dire a comprendre, à aimer, à me faire aimer et que chaque échec me fait éprouver ma solitude puisque...
Puisque je ne peux pas m’arracher à l’objectivité qui m’écrase ni a la subjectivité qui m’exile , puisqu’il ne m’est pas permis ni de m’élever jusqu'à l’Etre ni de tomber dans le néant, il faut que j’écoute, il faut que je regarde autour de moi plus que jamais,le monde, mon semblable, mon frère...
Le monde seul, où aujourd'hui les révolutions sont impossibles, où des guerres sanglantes me menacent, où le capitalisme n’est plus très sûr de ces droits, et la classe ouvrière en recul; où les progrès foudroyant de la science donnent au siècle futur une présence obsédante, où l’avenir est plus présent que le présent, où les lointaines galaxies sont à ma porte, mon semblable, mon frère..
Où commence, mais où commence quoi? Dieu créa les cieux et la terre bien sur, mais c’est un peu lâche et facile, on doit pouvoir dire mieux, dire que les limites du langage sont celles du monde, que les limites de mon langage sont celles de mon monde, et qu’en parlant je limite le monde, je le termine et que la mort un jour logique et mystérieux viendra abolir un jour cette limite et qu’il n’y aura ni question ni réponse, tout sera flou mais si par hasard les choses redeviennent nettes ce ne peut être qu’avec l'apparition de la conscience, ensuite, tout s’enchaine...

Pict. FM, la 27ème minute et certaines autres
Text. Jean Luc Godard, Deux ou trois choses que je sais d'elle

13/04/2011

LE SOLITAIRE


J'ai en horreur de suivre et de mener.

Obéir? Non! Ni non plus -- gouverner!

Qui n'est terrible pour lui-même n'inspire de terreur à personne:

Et qui inspire la terreur peut seul mener autrui!

J'ai déjà en horreur de mener moi-même!

J'aime, tels les animaux de la forêt et de la mer, Me perdre un long moment,

M'accroupir pour rêver dans un labyrinthe délicieux,

Me rappeler enfin moi-même de loin,

Me -- séduire moi-même pour revenir à moi.


text. Nietzsche, Le Gai savoir, Le solitaire

pict. ae

11/04/2011

LOOKING AT THE CEILING


01. Cortex - Go Round
02. Valet - Drum movie
03. Weather Report - River People
04. Ariel Pink's Haunted Graffiti - Reminiscences
05. Pink Floyd - Absolutely Curtains
06. Deerhoof - New Sneakers
07. Robert Wyatt - Alifib
08. White Rainbow - Middle
09. The Doors - Easy Ride
10. Al Duvall - Lantana


Pict : GB, rue Vicq d'Azir



02/04/2011

CA TU NE LE DIS QUE POUR ME DESARMER

- La femme:" Ne crie pas, l'enfant dort."

- Bruno: " Tu dis l'enfant - comme s'il ne devait plus avoir de nom pour moi ! Et toujours raisonnable, c'est ce que tu es ! Vous les femmes avec votre minable coté raisonnable! Avec votre brutale compréhension pour tout et chacun ! Et jamais vous ne vous ennuyer, bonne à rien que vous êtes. Vous êtes toujours assises quelque part, pleine d'enthousiasme, à laisser passer le temps. Sais-tu pourquoi vous ne deviendrez jamais rien? Parce que jamais vous ne vous soûlez toutes seules !

Vous vous baguenaudez dans vos appartements bien rangés, comme de prétentieuses photo de vous même. Vous faites les mystérieuses, vous couinez à force d'insignifiance, camarades patentées que vous êtes, vous étouffez les autres avec votre humanité bornée, des machines à mettre en tutelle pour tout ce qui est vivant. Reniflant le sol, vous rampez en tous sens, jusqu'à ce que la mort vous ouvre la bouche toute grande.

" Il cracha de coté: " Toi et ta nouvelle vie! Jamais encore je n'ai vu une femme qui ait durablement modifié sa vie. Rien que des bonds de côté- et puis après c'est la vieille rengaine qui recommence.

Tu sais quoi? Ce que tu fais maintenant, tu le feuilletteras plus tard en coupures de journal jaunies comme seul événement de ta vie! Et tu te rendras compte que tu n'as fait que courir derrière la mode: la mode d'hiver de Marianne!"

- La femme: " Tu as préparé tout ça d'avance, n'est-ce pas ? Tu ne veux pas du tout parler avec moi, pas du tout être avec moi ! "

- Bruno: " Je préférerais encore parler avec un fantôme!"

- La femme: "Tu as l'air terriblement triste, Bruno!"

- Bruno: " ça tu ne le dis que pour me désarmer."

Ils se turent longtemps.


text. Peter Handke, La femme gauchère
pict. ae, Brasilia