02/08/2011

LE CHIEN BLEU


Le reste de pâte au curry glissait lentement le long de l’assiette. l'absence à proximité d’un quelconque poussoir le condamnait, la gravité comme unique arme, à rester spectateur de cette douloureuse scène. Le tout chuta dans un bruit crispé de sac plastique lesté.

«quel gâchis... si seulement j'avais un chien»

Une idée facile. Plongeant à présent ses mains à tour de rôle dans l’eau saumâtre puis claire, tiède puis fraîche, la vaisselle avait cet inconvénient d’occuper totalement le corps et si peu l’esprit. Si bien que le chien persistait et avec lui la magnifique idée de pouvoir à tout jamais s’éviter l’intolérable culpabilité du gâchis.

Étonnamment le choix de la race fut la première question, bien avant la garde de la bête pendant les vacances, l'installation du couchage dans son vingt-cinq mètres carré, ou même l'éternel positionnement idéologique sur le fait de posséder un chien en ville. Comme si une race bien choisie eut été la clef pour dénouer toute ces contraintes futiles.

Le seul réel moyen qu’il possédait afin de déterminer l’exacte race adéquate était évidemment ce qui l’avait amené à l’idée même d’avoir un chien : son propre gâchis.

Il commença sommairement à calculer en demi-assiette puis en plats et finalement en kilos la somme de nourriture qu’il avait expédié par simple dégoût ou paresse dans ces insouciants sacs bleus. Pour finalement arriver à une première conclusion: qu’il lui faudrait avoir un chien relativement gros ou apprendre d’ici là à cuisiner avec un peu plus de justesse.

Arrivé maintenant au stade des couverts de sa vaisselle, il sentait à l’approche du fond de l’évier que ce choix été plus complexe qu’il n’y paraissait. En effet certains détails pointaient dans son raisonnement: Déjà son plus pur choix esthétique était complètement étouffé et de plus la nourriture délaissée était loin d'être le premier gâchis mesurable dans sa vie. Il se mit à chercher tout ce qui avait pu finir dans ce sac bleu pour des raisons insuffisantes: le manque de faim, la paresse, l’oubli, le confort ou même la maladresse.

Un temps se fit sentir à l’approche des derniers verres sales et une énorme sélection venait d'être faite dans sa propre base de donnée canine. Puisque en plus d'être un véritable glouton ce chien devrait posséder des qualités indéniables en matière de conseils économiques, de psychologie et surtout d'énorme facultés affectives.

Devant de tels critères, il commença à douter qu’un seul chien suffirait, et évoqua brièvement la possibilité d’adopter une meute avec pour chaque chien une qualité spécifique poussée.

Mais gardant les pieds sur terre, il se dirigea plus volontiers vers la perspective de croiser différentes races afin d’obtenir un chien de qualité supérieure qui réunirait toute ses demandes. Alors que l’idée d’une race supérieure lui fit un peu peur, il se porta plus facilement vers des chimères qui réunissaient à présent, chiens, animaux marins, électro-ménager, plantes, et jeunes filles. Et c’est dans ce cocktail surréaliste et au moment ou tous les ingrédients semblaient être mesurés qu’il aperçut avec stupéfaction le visage de sa mère.

Le dernier verre glissa de sa main tétanisée pour aller se briser bruyamment sur les carreaux de sa cuisine juste à coté du sac de plastique bleu.


text/pict. ae





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