01/10/2010

ECHAPPES CHAMPETRE

Ils tentèrent de fuir.

On ne peut vivre longtemps dans la frénésie. La tension était trop forte en ce monde qui promettait tant, qui ne donnait rien. Leur impatience était à bout. Ils crurent comprendre,un jour, qu'il leur faillait un refuge.

Leur vie,à Paris, marquait le pas, Ils n'avançaient plus. Et ils s'imaginaient parfois - enchérissant sans cesse l'un sur l'autre avec ce luxe de détails faux qui marquait chacun de leur rêves - petit-bourgeois de quarante ans, lui, animateur d'un réseau de ventes au porte-à-porte (la Protection familiale, le Savon pour les Aveugles, les Etudiants nécessiteux), elle, bonne ménagère, et leur appartement propret, leur petite voiture, la petite pension de famille où ils passeraient toutes leur vacances, leur poste de télévision. Ou bien à l'opposé, et c'était encore pire, vieux bohèmes, cols roulés et pantalons de velours, chaque soir à le même terrasse de Saint-Germain ou de Montparnasse, vivotant d'occasions rares, mesquins jusqu'au bout de leur ongles noirs.

Ils rêvaient de vivre à la campagne, à l'abri de toute tentation. Leur vie serait frugale et limpide. Ils auraient une maison de pierres blanches, à l'entrée d'un village, de chauds pantalons de velours côtelé, des gros souliers, un anorak, une canne à bout ferré, un chapeau, et ils feraient chaque jour de longues promenades dans les forêts. Puis ils rentreraient , ils se prépareraient du thé et des toasts, comme des Anglais, ils liraient les grands romans qu'ils n'avaient jamais eu le temps de lire, Ils recevraient leurs amis.

ces échappés champêtres étaient fréquentes, mais elles atteignaient rarement le stade de vrai projets. Deux ou trois fois, il est vrai, ils s'interrogèrent sur les métiers que la campagne pouvait leur offrir : il n'y en avait pas.


text : George Perec / les choses

pict : ae, Denderlew Belgique

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire