15/01/2011

LEOPOLD, BROAD CHANNEL, 17:00


VRRRRRRRRROOOOOOOOOOOOOUUUUUUUUUUUUUHHHHHHHHHHHHHHHHHHHH
c’est ce que nous retiendrons de notre premier rendez vous manqué dans le terminus d’une station de métro sur la 14eme où le vrombissement des rames et la chaleur m’ont surement fait passer les pires 45 minutes matinales de l’été. Mais peu importe, puisque c’est moi qui me suis trompé d’endroit. Aujourd'hui, dernier jour à New York, je prend le métro pendant plus d’une heure pour me retrouver un décor inédit qui pourrait nous faire penser à la Louisiane, Broad Channel. Accompagné du rire des mouettes et du lointain et régulier passage des avions, je retrouve Leopold, e-friend rencontré il y a quelques années à Paris, et croisé au fil des voyages. C’est là qu’il m’a donné rendez-vous, dans un endroit qui nous est tous deux inconnu.

Je vais commencer par le film parce que c’est ce qui semble avoir le plus de rapport avec le lieu où l’on se trouve, je ne sais pas si tu l’as vu c’est A Walk through H de Peter Greenaway, un film qui n’a comme éléments visuels que des cartes et des images d’oiseaux dans les marécages. C’est entre un court et un long métrage, 40 minutes, assez étrange comme format; c’est à dire que tu regardes ça vraiment comme un court métrage, mais qui ne voudrais pas finir.. C’est le récit d’un ornithologue qui a effectué un voyage et qui le retrace sur 92 cartes, des cartes pas comme des données, des cartes comme des traces d’un souvenir. Aujourd’hui on a tendance à considérer la carte comme un espèce d’objet scientifique ayant une dimension absolument véridique et donc objective, alors qu’on oublie que la carte est avant tout un outil de représentation de l'espace comme un autre. Et ici c’est exactement le propos, du coup il y a ses cartes qui sont absolument magnifiques, ce sont des peintures. Au début elles restent quand même relativement objectives, on comprend bien que l’on voit des villes, on voit des chemins, et l’on suit un long fil rouge qui se poursuit sur 92 cartes, et au fur et à mesure que le film évolue, la carte se subjectivise de plus en plus, y compris dans le médium; ce qui fait que les dernières sont sur des enveloppes, il y en a même une qui est sur un bouquin d'ornithologie, c’est sur la tête d’un oiseau qui forme une carte. Mais en fait le vrai film, presque plus que visuellement, reste la narration vocale qui est posé sur ces images-là, et puis la musique qui est assez sublimante, avec un morceau fou de clavecin, et le tout réuni provoque une trépidation chez le spectateur.

Pour le bouquin, j’ai opté pour un choix qui ne va pas te surprendre, c’est Fictions de Borges. Je l’ai relu pour l’occasion, et c’est vraiment un de mes livres préféré. C’est marrant parce que Borges fait partie des quelques exemples où je vois tout le monde s’exciter autour et ça m'énerve que ce ne soit pas mon petit truc à moi et tout ça mais bon c’est Borges, ce n’est pas l'auteur obscur et difficile dont tu n'obtiens des choses qu'après avoir fourni des efforts incroyables et tout ça. Et en fait j’assume relativement bien le fait que ce soit aussi à la mode et pourtant qu’il reste un de mes écrivains préféré. Fictions est une série entre 12 et 15 textes qu’il a rassemblé dans une édition. Il y a des textes absolument épiques qui sont restés vraiment classique, comme la bibliothèque de Babel ou la loterie à Babylone ou le chemin au sentier qui bifurque, ce sont les trois les plus connu qui restent aujourd'hui comme des morceaux d'évidence. Mais il y en a aussi d’autres qui sont vraiment tout aussi intéressant et un peu moins reconnu, et qui en deviennent plus personnels. D’un point de vue de la typologie aussi c’est très variés, des textes aux grandes envolées épiques, d’autres qui sont de l’ordre d’un registre plus connu de la petite histoire, presque du fait divers à certains points, mais qui traités par rapport au geste devient absolument génial, et il y a même des textes quasiment académiques qui ressemblent beaucoup plus à des essais qu’à des fictions. Du coup cette confusion dans la manière même d’écrire nous trouble, on ne sait jamais ce qui est vrai, ou ce qui est fiction. Quand il écrit sur un autre écrivain on ne sait même pas si il existe, mais il y a un espace de plus valu frictionnel qu’il apporte à ces essais là qui est assez intéressante. Il écrit en fait beaucoup de nouvelles et de textes de fictions comme ça, en commençant à dire qu’il l’a lu dans un bouquin, il écrit beaucoup l’histoire dans l’histoire. L’univers? Et bien le mot le plus évident qui me vient - et qui est un des mots que je préfère en architecture - c’est celui de labyrinthe. Il y a une histoire dans un des livres, dont le nom m’échappe, mais elle convoque deux rois, un roi qui invite un autre roi et pour l'impressionner le met au centre de son labyrinthe et lui dit «essai de t’en sortir» . Le labyrinthe est d’une complexité incroyable, il y a des portes partout, des murs partout, on ne comprend pas comment cela se passe, enfin vraiment une complexité inimaginable ce qui fait que le roi qui est emprisonné dan ce labyrinthe met plusieurs journées avant de pouvoir s’en sortir; et évidemment quand il en sort, il est absolument furieux contre l’autre. Il rentre alors dans son royaume et ramène toute une armée pour capturer l’autre roi, et une fois capturé, il l'emmène au milieu du désert et il lui dit «tiens, voila mon labyrinthe» essai de t’en sortir aussi. En fait c’est une histoire que l’on connait comme étant la confrontation James Joyce / Borges, Joyce écrivant des labyrinthes narratifs étant d’une complexité sans nom qui sont extrêmement difficiles - j’ai essayé de lire le livre c’est impossible - et qui se sert de cette complexité là comme une arme, comme les composantes de son labyrinthe. Et du coup lorsque l’on est perdu, on est pas tant perdu par la narration que par le médium de la narration lui même alors que pour Borges le vrai labyrinthe, c’est celui du désert, c’est celui de la simplicité, de l’aléatoire de l’infini de la relativité du temps, de l’espace; et donc on se retrouve perdu dans ses écrits mais des écrits qui n’utilisent pas de formes narratives et complexes, alors que le contenu narratif lui est d’une richesse absolument géniale.

Et s’il nous fallait un fond sonore autre que le cliquetis de l’eau et le murmure des avions que l’on entend au loin, l’album que je choisirai serait Horses in the sky de Thee Silver Mt. Zion Memorial Orchestra & Tra-La-La Band. Ce sont des canadiens anglophones de Montréal, il doit y avoir quelque chose comme deux guitares, un contrebassiste, une violoncelliste, deux violonistes et un batteur, et il chantent tous. Ils posent tous leurs voix et même si elles sont toutes très différentes, certains chantent bien et d’autres beaucoup moins mais cela apporte un équilibre. Et plus que de l’album c’est surtout de la première chanson qui est absolument généralissime et qui s’appelle God Bless our dead marines - presque contextuel ici avec tous ces drapeaux américains qui flottent devant les entrées de maison. Ce sont de long morceaux de quinze minutes dans lequel il y à de grandes envolées symphoniques, avec un coté très cordes - à part le batteur ce ne sont que des instruments à cordes - qui t’endorme et deviennent beaucoup plus violentes tout d’un coup. Bon alors de temps en temps, pour être honnête , il se repose pas mal sur ce thème la de courbes d’intensité dans leur musique, qui revient peut être un tout petit peu trop , ça fait des morceaux un peu ratés ou justement on sent qu’il veulent endormir et remonter ce genre de choses mais quand ça marche c’est vraiment magnifique. Ca provoque un espèce de transe, une sensation de voyages, mais pas de voyages d’avion plutôt un voyage de ce que les situationnistes appellerait psychogéographie, d'atmosphères, de climats.

Et justement, on termine sur un couché de soleil avec Manhattan au lointain.


Leopold Lambert est rédacteur depuis 4 ans maintenant du blog Boiteaoutil, qui a switché il y a peu vers The Funambulist. Il est architecte, vient de finir son programme postgrade au Pratt Insitute de New York et aimerait maintenant continuer ses recherches tout en apprenant les bases de la construction d'un édifice, afin de très vite créer sa propre agence d'architecture.

02/01/2011

AUTOMOBILE


La culture Beat émerge dans les années 1950, période d’après guerre où la société américaine se restructure en deux tendances fondamentales. D’un coté, une décentralisation permise par les technologies comme les autoroutes, la télévision, la dispersion des moyens de production et la reproduction sociale de la banlieue vers la périphérie ; et de l’autre la gestion de ces technologies concentrant dans un nombre réduit de grandes firmes et d’agences d’états. Il résulte de cette centralisation décentralisée la division de la société en deux échelles spatiales : le territorial et le domestique. C’est la fragmentation simultanée entre l’unité autonome de la cellule de la famille nucléaire et son intégration dans l’économie de consommation.Ce double caractère est à la base de la stratégie d’échappatoire et de résistance mis en place par les écrivains Beat. La géographie mobile typique de leur littérature à été possible grâce à deux réseaux territoriaux d’après guerre, les bourses GI et le système autoroutier. Les aides financières accordées aux vétérans de guerre pour l’accès aux hauts études et/ou à la propriété ont permis à Kerouac, Ginsberg et Burroughs d’accéder à l’université de Columbia et d’expérimenter un modèle de vie en dehors du système capitaliste. Et dans un second temps, le système autoroutier fut le support principal des écrivains pour explorer librement et indépendamment l’espace territorial américain, autrefois fragmenté en minuscules unités et désormais relié par de vastes réseaux routiers communiquant.
Par leurs voyages, leurs aventures, les trois figures fondatrices de la culture Beat renouvellent la veine de la tradition littéraire anglaise, dans laquelle –de Hardy à Lawrence, de Melville à Miller – le même cri retentit : sort, part, va loin, fais ta vie, ne reste pas collé à un point. Conscient d’habiter un contexte radicalement différent de ce qu’était l’entre deux guerre, ils spatialisent leur pratique littéraire et explorent l’Amérique d’après-guerre en prenant le risque de poursuivre une méthode basée sur le mouvement, en développant un art de vivre nomade et s’engageant corporellement. Ils privilégient alors l’espace sur le temps, la géographie sur l’histoire, le naturel sur le social, vivre à exister.
Sur la route est le premier et majeur roman de la culture Beat, il raconte 4 road-trips de Sal Paradise et son compagnon Dean Moriarty, basés sur des voyages effectués par Jack Kerouac, seul ou avec Neil Cassidy. L’ambition géographique du roman est claire, traverser le continent de part en part, du Nord au Sud, de côte à côte. Alors que le premier trip explore le voyage en commun avec d’autres passagers – autostop, bus, train de marchandises – les trois autres se fixent sur l’automobile et l’expérience de la conduite accélérée, ses capacités de liberté et de plaisirs. En plein développement du système autoroutier, alors qu’il ne faut plus qu’une poignée de jours pour traverser le pays, la voiture démocratise et individualise le contrôle de la vitesse. Kerouac les explore comme un système alternatif à la domesticité de la famille nucléaire, de la maison. La voiture, la vitesse, l’espace comme moyen d’échapper au social en faveur du spatial, comme un vecteur de liberté totale.

« Whooee ! yelled Dean. « Here we go ! » And he hunched over the wheel and gunned her...we all realized we were leaving confusion and nonsense behind and performing our one and noble function of the time, move. And we moved!” *

L’écrivain utilise cette expérience de la conduite pour changer sa méthode d’écriture. Des projets plus jeunes de sur la route ont été écrits de manière conventionnelle, mais le roman final a été réécrit en 20 jours ininterrompu, sur un rouleau de feuille de calques attaché entre eux par du scotch formant un rouleau de 36 mètres de long. Le déroulement du manuscrit correspond à la linéarité de l’autoroute et en accélèrant l’acte d’écrire, il retranscrit la brutalité de ses expériences, d’une manière immédiate et subjective, excluant toute révision et correction, et invente la prose spontanée.

L’image est prise depuis la banquette arrière d’une large voiture américaine, une Ford Fairlane 1968 blanche plus précisément, comme nous l’indique les trois cercle serti de chrome du tableau de bord effilé de cet élégant coupé. Le photographe est inconnu, mais c’est très certainement un proche du couple à ce moment là, car dans l’intimité de l’habitacle, un homme pose son bras sur la banquette avant, frôlant ainsi les épaules de la femme qui l’accompagne. Une main seule suffit sur le volant, c’est une automatique, fermement placée sur drive, elle exalte tout le confort de la conduite moderne et la délivrance du changement de vitesse. La voiture file sans saccades ni reprise violente, les vrombissements régulier du 8 cylindres en V de 250 ch la propulse comme un bateau sur une mer huileuse, voguant le long des glissières de sécurité dans les flippers automobiles dont les courbes fluides se sont imposées sur l’ensemble du territoire américain. C’est de la sérénité qui respire de la position de l’homme au volant, le soleil chauffe certains de ses doigts et la nuque féminine à ses cotés. Elle tient dans ses mains un appareil photo, prête à enregistrer sur le film les souvenirs de ces paysages artificielles illuminés d’une lumière aride. Un rapide coup d’œil dans le rétroviseur nous rappel dans son reflet le passé qui file sous un léger nuage de poussière, et dans la largeur cinématique du pare brise se profile inexorablement le futur. Ce que l’on observe au lointain est peuplé ici d’autres automobiles, tous les être vivants sont confortablement assis derrière quelques centaines de kilo d’acier, aucun piétons sur cette large route qui tend à l’infini. De chaque coté un conglomérat de bâtiments-hangars, de signes, de publicités, d’enseignes, de poteaux électriques dans un désordre qui semble se résigner à ne pas outrepasser une seule règle, la limite que crée la ligne de bitume sur le sol. Ce dont nous parle cette image, c’est la puissance créatrice et libératrice de la voiture.

Je vois dans cette image la tante de Sal Paradise avec les meubles à l’arrière de la Hudson 49 de Dean Moriarty, il est au volant, conduisant à toute allure et prenant des risques inconsidérés avec à ses coté Marylou et Sal et le gros Ed près de la fenêtre. Tous unis dans leur trip halluciné vers l’incertain, elle les regarde rouler l’esprit troublé par les fata morgana qui apparaissent aussi vite qu’elle disparaissent à l’horizon des lignes rectilignes du bitume posé sur le paysage brûlant des routes américaines. Toute la mythologie de la voiture est présente à ce moment là, c’est l’instant même, ce n’est plus simplement un moyen de transport, c’est non seulement une machine temporelle puissante car elle personnifie l’instant présent - à travers le pare brise sur lequel s’ouvre le futur et dans le rétroviseur où fuit le passé (le présent s’invente de miles en miles dans l’acte de jeter l’acquis et de défier l’avenir- et un vecteur d’évasion encore non égalée. Oui elle représente et instrumentalise la société de consommation, mais paradoxalement les vrombissement du moteur qui s’échappent à chaque reprise des gaz sous le capot sont les derniers rugissement de la liberté sur un continent en voie d’hégémonie culturelle et politique.
Que ce soit dans cette littérature Beat, ou dans les pratiques comme les concours de vitesses ou le hot-rod, l’automobile construit un univers puissant et devient un mythe. Lorsque les lycéens - autorisés à conduire dès 16 ans- bricolent dans les arrières-cours de petits bijoux de mécaniques et de carrosseries à partir de modèles standard, ils viennent y imprimer leur personnalité face à un système de normalisation envers lequel ils sont en réaction. L’automobile par les images qu’elle permet de construire, de véhiculer et d’adhérer dépasse donc le simple moyen de transport et devient un élément clé d’un mode de vie.

«Dis donc, est ce que ce n’est pas la vieille tante Nabby qui vient de nous doubler à cent trente à l’heure sur la voie rapide du Berdoo? Regarde là! A peine six mois qu’elle est en Californie du sud et elle a déjà les cheveux blond platine, les lunettes de star, le pantalon cigarettes. Une wolkswagen jaune vif avec des jantes à rayons et un moteur qui pétarade»2

Dans cette image je vois aussi Robert Venturi et Denise Scott Brown quelques années plus tard, en 1968, alors que de nombreuses générations de disciples Beat commencent à partir sur les routes pour explorer, prendre des risques, se confronter à des situations totalement imprévisible et nouvelles. Avec quelques étudiants de Yale ils louent des voitures et filent à Las Vegas pour un workshop. Durant ces quelques jours ils observent les millions d’américains surgissant des 4 coins de l’État dans cette ville tout juste sortie du désert, fascinés par les consommateurs épanoui,s amoureux du confort automobile, de la vitesse, des lumières, de la facilité, des dollars, de l’événement, du spectacle, ils se rendent compte de ce que la voiture à changé en terme d’urbanisme, comment les villes s’organisent désormais autour d’elle. Et c’est en utilisant ce dénominateur commun de la société américaine d’après guerre, c’est en se plaçant comme un simple observateurs, dans l’habitacle, c’est en vivant la puissance du rêve, la flânerie de l’évasion automobile qu’ils distancent le rôle préféré de l’architecte moderniste, celui du Dieu Démiurge, non pas attaché à la ville , mais à sa vision sociale et architecturale utopique qu’il se doit d’achever. Ils utilisent la photographie et la vidéo qui leur garantit ce rapport neutre avec l’objet étudié et la plupart de leurs images sont prises sans effort de composition mais dans l’instantané, rappelant cette condition simple de lecteurs et d’interprétant d’un contexte culturel urbain. Pas de carte, pas de données la ville est vue par le biais des apparences et du phénomène, c’est une recherche sur les images de la ville ; c’est en cela que leur approche est révolutionnaire, précisément dans sa renonciation de la rhétorique de la révolution.
L’architecture entre désormais dans un spectacle où le la voiture est le caractère principal. Les hangars, les icônes, les signes sont le décor d’une représentation mise en scène pour l’automobile, et cette mise en scène doit être le plus rapidement interchangeable, pour répondre au changements quasiment instantanés des images de la culture populaire en obsolescence permanente. Désormais la ville se construit sur cette représentation permanente. La fluidité est le mot d’ordre, il faut pouvoir orienter la calandre à peu près partout pour ne mettre le pied dehors qu’un minimum; dîner, banque, supermarchés, bureaux sont tous accompagné de larges parkings. Le drive-in devient le must, en restant au volant on peut savourer un repas, une glace, un cinéma, tirer de l’agent... Le paysage américain se transforme petit à petit selon une norme basé sur l’unité automobile et s’exporte bientôt pour maintenant constituer toutes nos entrées de villes. En 50 ans, les métamorphoses sont stupéfiantes, les ceintures de notre centre-ville congestionné sont désormais toutes copiées sur le même modèle urbain. Le trajet de porte à porte, au moment et à la vitesse désirée, sur un territoire quasiment illimité est devenu la version idéale -idéalisé même - d’un mode de transport vraiment démocratique. Ce degré de commodité offert à tous est tel que très peu d’habitants-automobilistes ne peuvent se sacrifier à un système de transport public, même s’il est parfois plus efficace. L’automobile est devenue une véritable écologie et met ainsi en lumière un des plus profond paradoxe du grand débat qui se pose à toute société d’abondance urbaines et mécanisée, celui qui oppose la liberté individuelle et la discipline collective.

Dans ce paradoxe réside à mon avis une clé a laquelle on ne fait que très peu souvent allusions dans le grand débat sur les questions environnementales. L’automobile, avec ses émissions de gaz à effet de serre et sa présence démultipliée par millions sur la surface terrestre construit une cible parfaite dans la grande bataille qui s’organise pour sauver la planète. Et dans cette exemplarité apparaît aussi tous les symptômes des problématiques liées à l’écologie.
L’industrie automobile et pétrolière ont développé depuis de nombreuses années des solutions pour l’après pétrole - dont la vulgarisation et la mise en place sur le marché s'échelonne dans une temporalité suffisamment longue pour leur permettre d’effectuer un maximum de profit sur les réserves restantes - la dialectique de la pensée reste la même. Comme nous l’avons vu ici, l’automobile outrepasse le simple moyen de transport, elle est l’un des seul objet au XXe siècle qui articule l’échelle familiale et l’échelle territoriale . C’est une carapace solide qui permet à l’individu de voguer en sécurité dans l’univers hostile du monde extérieur. Cet objet chéri, entretenu, personnalisé est clairement devenu une extension de la maison, une pièce supplémentaire, unité roulante de l’espace intime. L’imaginaire qu’elle crée autour d’elle est presque indestructible. Il est extrêmement difficile de trouver des modèles véritablement alternatif. C’est sans doute pour cela que les solutions s’acharnent à trouver des substitutifs à l’essence - électricité hydrogène ou huile de friture - qui génèrent exactement les mêmes logiques de structuration, de logistique, de consommations abusives d’énergie; il y aura un recrudescence du nombre de centrales nucléaires ou à charbon, de déchets radioactifs de plus en plus difficilement dissimulables... une chaîne sans fin. Les solutions ne se trouvent peut être pas directement par la technologie mais premièrement pas de nouveaux modèles sociétaux, plus fondamentaux. Alors que le green washing fait son malhonnête lavage de cerveau - comme l’hygiénisme d’il y à 100 ans - permettant à un bon nombre de malins de profiter de cette aveuglement collectif, ne serait-ce pas le moment de reposer des questions fondamentales sur l’organisation de la société et du territoire. N’est il pas possible de réorganiser les formes urbaines pour un usage limité de la voiture? N’existe-t-il pas des solutions de proximité ? N’y a-t-il pas de nouveaux objets articulant les échelles? Il y a sûrement des solutions à trouver dans la structure sociétale plutôt que d’utiliser les même mécanismes, simplement vendus avec un nouvel emballage. Voilà où nous amène l’automobile aujourd’hui, en prenant conscience du poids qu’elle exerce sur notre imaginaire, sur nos sensations, sur notre liberté individuelle pour repenser une organisation, une manière réellement alternative et qualitative pour créer de nouveaux mythes nécessaires à la ville, qui permettent à l’individu d’y retrouver son confort et à la société de muter pour faire face à la crise environnementale, d’articuler cette opposition, et cette complémentarité fondamentale entre liberté individuelle et intérêt collectif.

1. Jack Kerouac, On the road
2. Brock Yates, Car and driver Magazine, juillet 1967
FM