VRRRRRRRRROOOOOOOOOOOOOUUUUUUUUUUUUUHHHHHHHHHHHHHHHHHHHH
c’est ce que nous retiendrons de notre premier rendez vous manqué dans le terminus d’une station de métro sur la 14eme où le vrombissement des rames et la chaleur m’ont surement fait passer les pires 45 minutes matinales de l’été. Mais peu importe, puisque c’est moi qui me suis trompé d’endroit. Aujourd'hui, dernier jour à New York, je prend le métro pendant plus d’une heure pour me retrouver un décor inédit qui pourrait nous faire penser à la Louisiane, Broad Channel. Accompagné du rire des mouettes et du lointain et régulier passage des avions, je retrouve Leopold, e-friend rencontré il y a quelques années à Paris, et croisé au fil des voyages. C’est là qu’il m’a donné rendez-vous, dans un endroit qui nous est tous deux inconnu.
Je vais commencer par le film parce que c’est ce qui semble avoir le plus de rapport avec le lieu où l’on se trouve, je ne sais pas si tu l’as vu c’est A Walk through H de Peter Greenaway, un film qui n’a comme éléments visuels que des cartes et des images d’oiseaux dans les marécages. C’est entre un court et un long métrage, 40 minutes, assez étrange comme format; c’est à dire que tu regardes ça vraiment comme un court métrage, mais qui ne voudrais pas finir.. C’est le récit d’un ornithologue qui a effectué un voyage et qui le retrace sur 92 cartes, des cartes pas comme des données, des cartes comme des traces d’un souvenir. Aujourd’hui on a tendance à considérer la carte comme un espèce d’objet scientifique ayant une dimension absolument véridique et donc objective, alors qu’on oublie que la carte est avant tout un outil de représentation de l'espace comme un autre. Et ici c’est exactement le propos, du coup il y a ses cartes qui sont absolument magnifiques, ce sont des peintures. Au début elles restent quand même relativement objectives, on comprend bien que l’on voit des villes, on voit des chemins, et l’on suit un long fil rouge qui se poursuit sur 92 cartes, et au fur et à mesure que le film évolue, la carte se subjectivise de plus en plus, y compris dans le médium; ce qui fait que les dernières sont sur des enveloppes, il y en a même une qui est sur un bouquin d'ornithologie, c’est sur la tête d’un oiseau qui forme une carte. Mais en fait le vrai film, presque plus que visuellement, reste la narration vocale qui est posé sur ces images-là, et puis la musique qui est assez sublimante, avec un morceau fou de clavecin, et le tout réuni provoque une trépidation chez le spectateur.
Pour le bouquin, j’ai opté pour un choix qui ne va pas te surprendre, c’est Fictions de Borges. Je l’ai relu pour l’occasion, et c’est vraiment un de mes livres préféré. C’est marrant parce que Borges fait partie des quelques exemples où je vois tout le monde s’exciter autour et ça m'énerve que ce ne soit pas mon petit truc à moi et tout ça mais bon c’est Borges, ce n’est pas l'auteur obscur et difficile dont tu n'obtiens des choses qu'après avoir fourni des efforts incroyables et tout ça. Et en fait j’assume relativement bien le fait que ce soit aussi à la mode et pourtant qu’il reste un de mes écrivains préféré. Fictions est une série entre 12 et 15 textes qu’il a rassemblé dans une édition. Il y a des textes absolument épiques qui sont restés vraiment classique, comme la bibliothèque de Babel ou la loterie à Babylone ou le chemin au sentier qui bifurque, ce sont les trois les plus connu qui restent aujourd'hui comme des morceaux d'évidence. Mais il y en a aussi d’autres qui sont vraiment tout aussi intéressant et un peu moins reconnu, et qui en deviennent plus personnels. D’un point de vue de la typologie aussi c’est très variés, des textes aux grandes envolées épiques, d’autres qui sont de l’ordre d’un registre plus connu de la petite histoire, presque du fait divers à certains points, mais qui traités par rapport au geste devient absolument génial, et il y a même des textes quasiment académiques qui ressemblent beaucoup plus à des essais qu’à des fictions. Du coup cette confusion dans la manière même d’écrire nous trouble, on ne sait jamais ce qui est vrai, ou ce qui est fiction. Quand il écrit sur un autre écrivain on ne sait même pas si il existe, mais il y a un espace de plus valu frictionnel qu’il apporte à ces essais là qui est assez intéressante. Il écrit en fait beaucoup de nouvelles et de textes de fictions comme ça, en commençant à dire qu’il l’a lu dans un bouquin, il écrit beaucoup l’histoire dans l’histoire. L’univers? Et bien le mot le plus évident qui me vient - et qui est un des mots que je préfère en architecture - c’est celui de labyrinthe. Il y a une histoire dans un des livres, dont le nom m’échappe, mais elle convoque deux rois, un roi qui invite un autre roi et pour l'impressionner le met au centre de son labyrinthe et lui dit «essai de t’en sortir» . Le labyrinthe est d’une complexité incroyable, il y a des portes partout, des murs partout, on ne comprend pas comment cela se passe, enfin vraiment une complexité inimaginable ce qui fait que le roi qui est emprisonné dan ce labyrinthe met plusieurs journées avant de pouvoir s’en sortir; et évidemment quand il en sort, il est absolument furieux contre l’autre. Il rentre alors dans son royaume et ramène toute une armée pour capturer l’autre roi, et une fois capturé, il l'emmène au milieu du désert et il lui dit «tiens, voila mon labyrinthe» essai de t’en sortir aussi. En fait c’est une histoire que l’on connait comme étant la confrontation James Joyce / Borges, Joyce écrivant des labyrinthes narratifs étant d’une complexité sans nom qui sont extrêmement difficiles - j’ai essayé de lire le livre c’est impossible - et qui se sert de cette complexité là comme une arme, comme les composantes de son labyrinthe. Et du coup lorsque l’on est perdu, on est pas tant perdu par la narration que par le médium de la narration lui même alors que pour Borges le vrai labyrinthe, c’est celui du désert, c’est celui de la simplicité, de l’aléatoire de l’infini de la relativité du temps, de l’espace; et donc on se retrouve perdu dans ses écrits mais des écrits qui n’utilisent pas de formes narratives et complexes, alors que le contenu narratif lui est d’une richesse absolument géniale.
Et s’il nous fallait un fond sonore autre que le cliquetis de l’eau et le murmure des avions que l’on entend au loin, l’album que je choisirai serait Horses in the sky de Thee Silver Mt. Zion Memorial Orchestra & Tra-La-La Band. Ce sont des canadiens anglophones de Montréal, il doit y avoir quelque chose comme deux guitares, un contrebassiste, une violoncelliste, deux violonistes et un batteur, et il chantent tous. Ils posent tous leurs voix et même si elles sont toutes très différentes, certains chantent bien et d’autres beaucoup moins mais cela apporte un équilibre. Et plus que de l’album c’est surtout de la première chanson qui est absolument généralissime et qui s’appelle God Bless our dead marines - presque contextuel ici avec tous ces drapeaux américains qui flottent devant les entrées de maison. Ce sont de long morceaux de quinze minutes dans lequel il y à de grandes envolées symphoniques, avec un coté très cordes - à part le batteur ce ne sont que des instruments à cordes - qui t’endorme et deviennent beaucoup plus violentes tout d’un coup. Bon alors de temps en temps, pour être honnête , il se repose pas mal sur ce thème la de courbes d’intensité dans leur musique, qui revient peut être un tout petit peu trop , ça fait des morceaux un peu ratés ou justement on sent qu’il veulent endormir et remonter ce genre de choses mais quand ça marche c’est vraiment magnifique. Ca provoque un espèce de transe, une sensation de voyages, mais pas de voyages d’avion plutôt un voyage de ce que les situationnistes appellerait psychogéographie, d'atmosphères, de climats.
Et justement, on termine sur un couché de soleil avec Manhattan au lointain.
Leopold Lambert est rédacteur depuis 4 ans maintenant du blog Boiteaoutil, qui a switché il y a peu vers The Funambulist. Il est architecte, vient de finir son programme postgrade au Pratt Insitute de New York et aimerait maintenant continuer ses recherches tout en apprenant les bases de la construction d'un édifice, afin de très vite créer sa propre agence d'architecture.